Liberté d’expression du salarié : un droit fondamental encadré par la Cour de cassation

Liberté d’expression du salarié : un équilibre entre droit de parole et devoir de loyauté

Le droit d’expression du salarié est au cœur du dialogue social. Il garantit la possibilité pour chaque salarié d’émettre des critiques, de signaler des dysfonctionnements ou d’exprimer ses opinions professionnelles, sans craindre de représailles. Mais ce droit, essentiel à la vie démocratique de l’entreprise, connaît des limites strictes. La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 septembre 2025, a rappelé que la liberté d’expression reste un droit personnel, encadré et soumis à la loyauté contractuelle. Un équilibre subtil entre liberté de parole et respect de l’autorité hiérarchique.

November 5, 2025

Liberté d’expression du salarié : un droit fondamental sous conditions

Liberté d’expression du salarié en droit du travail : ce qu’il faut retenir

La liberté d’expression du salarié est un droit fondamental, reconnu par la loi et la jurisprudence. Elle permet à chacun d’exprimer ses opinions au sein ou en dehors de l’entreprise, dans le respect des règles de loyauté et de discrétion. L’arrêt du 10 septembre 2025 de la Cour de cassation en rappelle les contours essentiels et les limites.

  • Un droit fondamental personnel : la liberté d’expression appartient uniquement au salarié et ne peut être exercée par un tiers, même un avocat.
  • Un droit protégé mais encadré : il ne peut être restreint que pour des raisons justifiées et proportionnées au but recherché.
  • Une interdiction des abus : les propos injurieux, diffamatoires ou excessifs sortent du cadre de la liberté d’expression et peuvent être sanctionnés.
  • Un licenciement nul en cas d’atteinte injustifiée : si un salarié est sanctionné pour avoir exercé sa liberté d’expression sans abus, la rupture du contrat est considérée comme nulle.

Une liberté essentielle au cœur du contrat de travail

La liberté d’expression du salarié constitue l’un des droits fondamentaux reconnus à toute personne travaillant dans une entreprise. Protégée par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (article 11), par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et par l’article L.1121-1 du Code du travail, elle garantit à chacun la possibilité d’exprimer librement ses opinions, que ce soit dans ou hors de l’entreprise.

Toutefois, cette liberté, bien que protégée, n’est pas absolue. Le salarié doit l’exercer dans le respect de ses obligations de loyauté et de discrétion à l’égard de son employeur. L’employeur, de son côté, ne peut la restreindre que pour des raisons justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Une récente décision de la Cour de cassation (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 24-12.595, Les Armateurs) illustre parfaitement les limites de ce droit. Elle rappelle que la liberté d’expression du salarié est strictement personnelle : elle ne peut être invoquée lorsque le salarié s’exprime par l’intermédiaire d’un tiers, y compris son avocat.

Une affaire emblématique : la lettre d’un avocat ne vaut pas expression du salarié

Dans l’affaire soumise à la Cour, une directrice du développement d’une société de production audiovisuelle se voit proposer une rupture conventionnelle. Elle refuse cette proposition par l’intermédiaire d’une lettre rédigée par son avocat, dans laquelle sont évoquées des conditions de négociation jugées « brutales ».

Quelques jours plus tard, la salariée est licenciée pour insuffisance professionnelle. Convaincue que ce licenciement sanctionne en réalité la prise de position exprimée par son conseil, elle saisit le juge prud’homal pour faire reconnaître une atteinte à sa liberté d’expression.

La cour d’appel lui donne raison : selon elle, la chronologie des faits laissait supposer que le licenciement était motivé par la lettre adressée par l’avocat. Le juge du fond applique alors une présomption d’atteinte à la liberté d’expression, inspirée des régimes probatoires en matière de discrimination et de harcèlement moral.

Mais la Cour de cassation casse cette décision : elle considère que le refus d’une rupture conventionnelle exprimé par l’avocat ne relève pas de la liberté d’expression du salarié. Seul le salarié lui-même, lorsqu’il s’exprime personnellement, peut se prévaloir de cette liberté.

Liberté d’expression du salarié : un droit personnel mais encadré

La Haute juridiction rappelle ici une frontière essentielle : la liberté d’expression ne peut être déléguée.
Le salarié peut être assisté, conseillé, ou représenté, mais l’expression protégée doit émaner directement de lui.

Cette précision s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence bien établie. Le salarié dispose d’un droit de critique, y compris vis-à-vis de son employeur, tant que ses propos ne dépassent pas les bornes fixées par le droit. Ce droit s’exerce aussi bien dans l’entreprise (réunions, échanges professionnels, entretiens) qu’en dehors (réseaux sociaux, presse, réunions syndicales).

Le salarié peut librement :

  • Donner son opinion sur l’organisation du travail, le management ou les conditions de travail ;
  • Signaler un dysfonctionnement interne ou une irrégularité ;
  • Participer à des discussions syndicales ou professionnelles ;
  • S’exprimer publiquement sur des questions d’intérêt général, à condition de ne pas divulguer d’informations confidentielles.

Mais ce droit connaît des limites précises.

Les limites de la liberté d’expression : loyauté, proportionnalité et interdiction des abus

Situation Droits du salarié Limites légales Conséquences juridiques
Expression d’un désaccord professionnel Le salarié peut critiquer une organisation ou une décision s’il agit avec loyauté et mesure. Aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif n’est toléré. Protection au titre de la liberté d’expression ; licenciement nul si sanction injustifiée.
Communication externe (réseaux sociaux, presse, etc.) La liberté d’expression s’exerce également hors de l’entreprise. Les propos publics ne doivent pas nuire à la réputation de l’entreprise ni violer la confidentialité. Licenciement possible pour faute grave en cas de propos dénigrants ou diffamatoires.
Signalement d’un fait illicite (alerte éthique, harcèlement…) Protection renforcée du salarié lanceur d’alerte, même en cas d’atteinte à l’image de l’employeur. Le signalement doit être de bonne foi et ne pas être diffamatoire. Aucune sanction possible ; tout licenciement serait nul de plein droit.
Expression par un tiers (ex. avocat, syndicat, représentant) Non concernée : la liberté d’expression est strictement personnelle au salarié. Le salarié ne peut se prévaloir d’un propos tenu par son avocat ou un représentant. Aucune protection spécifique ; seul le salarié qui s’exprime personnellement peut invoquer ce droit.

La liberté d’expression du salarié est encadrée par trois principes directeurs :

1. Le devoir de loyauté

L’article L.1222-1 du Code du travail impose au salarié d’exécuter son contrat de bonne foi.
Ainsi, les propos qui nuisent intentionnellement à l’entreprise, portent atteinte à sa réputation ou trahissent des informations confidentielles peuvent être sanctionnés.
Un salarié ne peut, sous couvert de sa liberté d’expression, diffuser des critiques mensongères ou dénigrer publiquement son employeur.

2. Le principe de proportionnalité

L’employeur peut restreindre cette liberté si la mesure est nécessaire et proportionnée.
Par exemple, il peut légitimement interdire la diffusion d’opinions politiques sur les outils de communication interne ou encadrer la liberté de parole lors de réunions sensibles.

3. L’interdiction de l’abus de droit

Le salarié abuse de sa liberté d’expression lorsqu’il tient des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.
La jurisprudence sanctionne régulièrement les dérives verbales ou écrites, qu’elles soient publiques ou internes à l’entreprise.

Ainsi, un salarié peut critiquer son employeur, mais pas l’insulter, même en dehors du temps de travail.
De même, les propos publiés sur les réseaux sociaux ne bénéficient pas d’une totale immunité : un commentaire public sur LinkedIn ou Facebook peut justifier un licenciement disciplinaire s’il nuit à l’entreprise.

Licenciement et liberté d’expression : les effets juridiques

Lorsqu’un licenciement est motivé, même partiellement, par l’exercice non abusif de la liberté d’expression, il est nul (article L.1235-3-1 du Code du travail).

Cette nullité ouvre droit pour le salarié à une indemnité d’au moins six mois de salaire, sans application du barème Macron.
Mais encore faut-il démontrer que la rupture trouve sa cause dans cette liberté et que les propos litigieux proviennent bien du salarié lui-même.

L’affaire des Armateurs en fournit une illustration claire :

  • La lettre rédigée par un avocat ne constitue pas une prise de parole du salarié ;
  • L’employeur ne peut donc être accusé de sanctionner une expression dont le salarié n’est pas personnellement l’auteur.

Cette décision recentre la protection sur son titulaire légitime : le salarié.

Les enseignements pratiques pour les employeurs et les salariés

Pour les employeurs

  • Respecter la liberté d’expression de leurs salariés, même lorsqu’elle dérange ou remet en question la hiérarchie ;
  • Éviter toute confusion entre critiques professionnelles et comportements fautifs ;
  • Justifier clairement les licenciements ou sanctions pour prévenir toute requalification en atteinte à une liberté fondamentale ;
  • Documenter les faits reprochés et leur lien avec les missions du salarié, non avec ses opinions.

Pour les salariés

  • S’exprimer avec mesure et précision, sans excès ni dénigrement ;
  • Faire la distinction entre le désaccord professionnel et l’attaque personnelle ;
  • Utiliser la voie hiérarchique ou les instances représentatives avant de médiatiser un différend ;
  • Conserver des preuves de la nature et du contexte de leurs propos, en cas de litige.

Une liberté individuelle, pas un droit par procuration

L’arrêt du 10 septembre 2025 apporte une clarification utile :
la liberté d’expression du salarié est un droit personnel, qui s’exerce par la parole, l’écrit ou tout autre moyen de communication émis directement par lui.
Elle ne peut être déléguée à un représentant, même avocat en droit du travail sur les Yvelinest, car elle implique une dimension individuelle et consciente de l’expression.

Ce rappel, en apparence technique, a des conséquences concrètes : il évite que des contentieux invoquent abusivement cette liberté dans des situations où le salarié n’a pas lui-même pris la parole.

Une liberté à exercer avec responsabilité

La liberté d’expression du salarié est une composante essentielle du dialogue social.
Elle permet aux salariés de participer activement à la vie de l’entreprise, de défendre leurs droits et de contribuer à la transparence du travail.

Mais comme toute liberté fondamentale, elle s’accompagne de devoirs : le respect des personnes, de la confidentialité et de la loyauté.
La Cour de cassation rappelle que ce droit, s’il protège la parole individuelle, ne saurait couvrir les propos prêtés ou rédigés par un tiers.

En définitive, l’équilibre recherché est clair :
le salarié peut parler librement, mais doit assumer sa parole.
C’est dans cette articulation entre liberté et responsabilité que se joue, au quotidien, le véritable exercice du droit d’expression au travail.

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